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(Interview) Bjørn Michaelsen, une autre vision du risque d’avalanche

_MG_71391.jpgDans le numéro 14 de Ski rando magazine (décembre / janvier 2014), nous avions publié une interview de Bjørn Michaelsen avec une autre vision du risque d’avalanche. Ce dernier débarque en France cette saison pour proposer des formations neige & avalanche. A cette occasion, nous publions ici l’interview :

SKI RANDO MAG : Ski Og Skred, la formation que tu as monté, a fêté ses dix ans en 2014, quelle a été l’idée de départ en 2002 ?
BJØRN MICHAELSEN : A cette époque la Norvège a été heurtée de plein fouet par l’évolution rapide du matériel de ski de rando et par le déferlement d’images sur internet qui ont poussé les skieurs vers de nouveaux terrains. Nous n’étions pas préparés pour ça. Jusqu’à la fin des années 90, on peut même dire que notre pays était sous-développé au niveau de la compréhension de la neige et des avalanches.

SKI RANDO MAG : Etonnant, en France on imagine plutôt la Norvège comme le pays du ski par excellence.
BJØRN MICHAELSEN : Dans un sens c’est vrai, les montagnes sont facilement accessibles par une grande majorité de norvégiens et y passer du temps est très important dans notre culture, ce qu’on appelle friluftsliv, la vie au grand air ! Les Norvégiens connaissent bien l’histoire du ski, ils en sont fiers, presque arrogants, et c’est cela qui a été un frein au développement à la fois de la technique et de la connaissance. Quand on naît avec les skis aux pieds, on est pas forcément bien disposés pour prendre des leçons d’autres pays… Le discours officiel était très conservateur, et il était entendu que, durant l’hiver, une raideur de 20° était la limite pour la majorité des skieurs, 25° pour les plus chevronnés.

SKI RANDO MAG : L’usage du DVA était-il tout de même répandu ?
BJØRN MICHAELSEN : C’était l’âge de pierre ! Et utiliser un DVA était assimilé à une prise de risque volontaire !

SKI RANDO MAG : Donc les skieurs évitaient tout bonnement le terrain potentiellement avalancheux ?
BJØRN MICHAELSEN : Exactement, et quand le changement s’est produit au début des années 2000, les gens ont voulu skier plus raide, plus profond, et plus tôt en saison. Mais les formations disponibles à cette époque ne duraient que trois jours, avec un discours anachronique et inadapté aux aspirations des skieurs. C’était le moment de proposer quelque chose qui serait en mesure de répondre aux exigences de cette nouvelle façon de skier : une formation de six mois propre à donner une compréhension internationale de la façon dont on se comporte en montagne hivernale et face au terrain avalancheux. En faisant mieux que simplement l’éviter ! ”

SKI RANDO MAG : J’imagine que ça n’a pas du être facile dans cet environnement ?
BJØRN MICHAELSEN : En effet, plus que les connaissances, c’était les mentalités qui posaient problème. A titre d’exemple, lorsque j’ai acheté des DVA pour mon école, 15 appareils, c’était la plus grosse commande de l’hiver en Norvège ! Plus que dans les plus grands magasins de ski ! Bien entendu, les discussions avec les gens qui faisaient foi en la matière ont été nombreuses et houleuses. Mon meilleur argument m’a été donné par un guide canadien qui m’a un jour demandé “Comment est-ce -que vous, les Norvégiens, pouvez être aussi sûrs que vous ne ferez jamais d’erreurs ?

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SKI RANDO MAG : L’inspiration est donc venue de l’étranger ?
BJØRN MICHAELSEN : Oui. Bien avant de skier en dehors de la Norvège, j’avais un regard critique sur le discours officiel, tout simplement parce que le ski faisait déjà partie de ma vie quotidienne, et ces règles n’étaient pas satisfaisantes pour la manière dont je voulais aborder la montagne. J’ai donc commencé à voyager, et j’ai participé à des formations en Suisse, en France (Chamonix) et au Canada. Ces voyages ont été la confirmation pour moi de ce qui devait changer dans mon propre pays. Rapidement l’idée m’est venue de créer Ski og Skred, formation de six mois, dans l’école où j’enseignais déjà, et ce côté international est resté très important : les stagiaires ont le meilleur enseignement possible dans les Alpes et en Amérique du Nord, puis ils reviennent en Norvège avec une compréhension plus globale de ce qu’implique le déplacement en terrain potentiellement avalancheux. Cette ouverture d’esprit est cruciale pour skier ici, car jusqu’à l’année dernière, il n’y avait pas de bulletin d’estimation du risque d’avalanche en Norvège (note : depuis 2013 ces informations sont disponibles sur varsom.no). Dans cette situation, on est seul face à ses décisions. Difficile d’imaginer un tel sentiment, même dans le massif le plus reculé de l’arc alpin…
Pour prendre de bonnes décisions, il faut les meilleurs outils, c’est ce que les étudiants vont chercher en voyageant dans les Alpes et au Canada. Mais cela ne suffit pas, il faut aussi que ces outils soient les plus affûtés possible, et c’est sur cela que l’on travaille lors de la seconde moitié du programme, ici en Norvège.

SKI RANDO MAG : C’est un approche qui semble très pragmatique ?
BJØRN MICHAELSEN : Oui, lorsqu’on part de presque rien, il faut bien construire sa propre méthode et s’adapter aux spécificités locales : nivo, météo, éloignement, etc…

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SKI RANDO MAG : De novembre à décembre les éleves sont avec toi à Alta, puis en janvier un groupe part en Suisse (Davos) et un groupe rejoint la France (en Haute-Maurienne). Le programme suivi lors de ces stages est-il très strict ?
BJØRN MICHAELSEN : Non, je veux que les guides locaux montrent comment ils travaillent. Bien entendu, il est important que les étudiants reviennent avec toutes les connaissances de base en nivologie, mais c’est encore plus important qu’ils aient enrichi leur culture. Tout est abordé, nivologie théorique et pratique, orientation, secours, facteurs psychologiques et gestion de groupe. Sans oublier de la technique ski ou télémark, car ce qu’ils ont en commun c’est la passion de la glisse !

SKI RANDO MAG : L’étape suivante est le Canada ?
BJØRN MICHAELSEN : Oui, le groupe part pour Roger’s Pass, BC. Après s’être transformés en alpins, ils deviennent canadiens pour un mois et s’immergent dans la culture de la neige et la façon de skier locale. Par la suite ils reviennent en Norvège où un séjour dans les Alpes de Lyngen est pour eux la première occasion d’utiliser leurs nouvelles connaissances ici, puis un peu plus tard dans le massif de Sarek dans le nord de la Suède. Ce sont des moments très forts car ils réalisent à quel point le mélange des cultures et l’ouverture d’esprit vont les aider à s’adapter aux montagnes scandinaves, et au delà.

SKI RANDO MAG : J’imagine que ta manière de pratiquer les influence beaucoup lors de cette seconde partie de programme, que peux-tu nous dire sur ta méthode ?
BJØRN MICHAELSEN : Un guide Norvégien l’avait qualifié de méthode “organique”, terme qui me dérangeait un peu au début, mais qui finalement la décrit assez bien. C’est très holistique, on aborde la montagne hivernale comme un tout. Le savoir est construit brique par brique, et rien de ce qui est nécessaire à la compréhension théorique de la neige et du phénomène avalancheux n’est laissé de côté. Jusque là c’est classique. C’est plutôt dans la manière dont ces connaissances sont utilisées et articulées entre elles pour devenir un outil de décision que notre approche est différente. Au lieu d’utiliser des modèles basés sur des règles strictes et des méthodes de réduction qui permettent de modéliser la réalité, nous considérons que ces phénomènes sont d’une complexité qui ne peut pas être décrite par des méthodes simples. Pour voir les choses de manière globale et ne pas nous limiter à des angles, expositions ou des check-list de 40 points, l’idée est de passer le plus de temps possible en montagne, d’y skier et d’y vivre (toutes les sessions en Scandinavie se font en dormant sous tente). Au contact de l’élément, en passant énormément de temps dehors, les étudiants deviennent familiers avec les différentes façons dont le manteau neigeux évolue et ils acquièrent une méthode de réflexion qui mélange l’expérience et l’instinct, et qui repose sur un socle de connaissances solides en nivologie. Lors de chaque sortie, tous les problèmes importants sont discutés et l’on se concentre sur les questions cruciales auxquelles ont doit répondre. Le guide se doit d’être “transparent”, c’est à dire que chaque décision est exposée, débattue et prise de manière collective, c’est une façon de faire à laquelle je tiens particulièrement. Pour connecter autant d’informations, il faut du temps et de l’expérience. La méthode “pour les nuls” n’existe pas.

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SKI RANDO MAG : Qui sont tes étudiants et que deviennent-ils après la formation ?
BJØRN MICHAELSEN : Pour la plupart, ils prennent une pause pendant leurs études ou au tout début de leur vie professionnelle. Ils recherchent un moyen constructif d’occuper ce temps. Certains pensent devenir guides, pisteurs ou imaginent travailler dans le domaine de la prévision ou de la gestion du risque. C’est un moyen pour eux de tester en grandeur nature si cette vie leur convient bien, et d’améliorer leurs compétences. Plusieurs d’entre eux travaillent actuellement sur le projet national de bulletin d’estimation du risque d’avalanche, c’est une grande satisfaction pour moi. Mais la plupart d’entre eux ne voudraient jamais retourner au travail ! Plus sérieusement, ils sont changés par leur expérience en folkehøgskole et ils voient leur projet de vie sous un angle nouveau.

SKI RANDO MAG : Que sont les folkehøgskole ?
BJØRN MICHAELSEN : Des écoles publiques qui dispensent des formations, surtout autour des activités de plein air. On peut y passer six mois à un an pour approfondir une passion et s’ouvrir l’esprit, sans compétition et sans diplômes. Ceux qui y viennent pour le ski et la neige en repartent avec beaucoup plus : ils apprennent le travail en équipe en vivant une vie simple et saine. C’est d’une utilité officiellement reconnue dans l’éducation des jeunes Norvégiens. A peu près 10 % d’entre eux y prennent part. Le concept date d’une centaine d’années, bien avant l’ère du pétrole. Ce n’est pas un luxe de pays riche, c’est profondément ancré dans la culture norvégienne

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SKI RANDO MAG : En parlant de culture, toi qui connais bien la France, comment comparerais-tu nos deux pays en matière de ski de montagne ?
BJØRN MICHAELSEN : En France, le niveau de connaissance est bien plus élevé que chez nous, j’y ai beaucoup appris. J’ai du respect pour les professionnels de la montagne, le terrain est souvent raide, difficile, et la pression de la clientèle ne doit pas rendre les choses plus aisées. Ceci dit, je suis surpris par votre niveau élevé d’acceptation du risque.

SKI RANDO MAG : Même chez les amateurs ?
BJØRN MICHAELSEN : Oui, il me semble. Mais chaque pays a ses travers, en Norvège être un autodidacte est une valeur forte et payer les services d’un guide y est moins courant que dans les Alpes. Le résultat est que les skieurs se croient souvent bien mieux préparés qu’ils ne le sont vraiment.

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SKI RANDO MAG : Tu veux donc dire que les Norvégiens ont plus d’expérience que de formation, et que ce serait l’inverse en France
BJØRN MICHAELSEN : C’est ça, mais une fois encore, c’est la tolérance au risque qui fait une grande différence.

SKI RANDO MAG : Dernière question, la formation est-elle ouverte aux étrangers ?
BJØRN MICHAELSEN : Oui sa vocation est d’être internationale, et il est très important que les étudiants acquièrent le vocabulaire spécifique en Anglais. Tous les cours et discussions peuvent être faits dans cette langue. Jusqu’ici, nous avons eu quelques Suédois et Allemands, mais nous serions ravis d’avoir aussi des Français !

INFOS PRATIQUES :
Du 22 au 24 janvier 2016 à Val Cenis Ski og skred et Ski Touring Academy organisent un week-end Ski et Sécurité d’un type nouveau, une formation de deux jours axée au maximum sur le terrain, la gestion de groupe et la prise de décision.
C’est une formation qui, sans oublier les aspects théoriques de la neige et des avalanches, vous apportera des outils pratiques pour aller chercher la bonne neige et vous faire plaisir sereinement !
Contact : info@skitouringacademy.com

http://skitouringacademy.fr/